Nous avons trouvé ce pavillon de chasse à 70 km de Paris, entouré d'environ 5 ha de bois. Délabré, longé par un chemin communal qui partageait le
bois en deux. Mais le site me plaisait et j'encourageais mon compagnon à l'acheter : j'aimais les défis et cette petite maison, restaurée avec mes économies personnelles nous dispensait d'un
nombreux personnel et nous permettrait de garder un petit pied à terre à Paris.
Le Domaine appartenait à la Marquise de Boisgelin née Yolande Barbe Marie Cécile Wankowicz et s'étendait sur plus d'une centaine d'hectares. Après son
décès le domaine fut divisé en plusieurs lots, de 5 à 30 ha. Ses héritiers étaient son époux Gilles Marie Bruno Hubert, Marquis de Boisgelin, Ministre plénipotentiaire et 4 membres de sa famille
Wankowicz, citoyens des Etats-Unis d'Amérique. Notre plus proche voisin était la Commune de Nanterre qui avait racheté les 28 ha entourant la maison toute neuve construite par la marquise
de Boisgelin dans le style "américain" avec piscine "olympique". Entre ce centre aéré de Nanterre et nous, il y avait une parcelle de bois de 16ha 04a 95 invendus, nous en avons racheté 5 ha et
la commune de La Couture Boussey a acheté le restant. Et de l'autre côté nous avons aussi racheté environ 15 ha de bois jouxtant les 17 ha de Maître Petitpas sur la commune des Mouettes. Notre
pavillon est désormais au milieu de presque 25 ha de bois.
Nous avons tout de suite sympathisé avec le Maire, Monsieur Robert Poilvert et son épouse directrice de l'école communale, que je voyais régulièrement
même après le décès du Maire, pendant les 30 années qui suivirent.
Une école maternelle "Robert Poilvert" à la mémoire de notre maire (de 1971 à 1994) qui fut aussi instituteur de longues années, a été créée 6 rue
Jacques Hotteterre
Pour les amoureux d' Histoire il existe un ouvrage publié en 1999 par le Conseil Municipal sous l'égide de son Maire Bernard GROULIER qui a servi sa
Commune plus de 30 années, jusqu'en 2008 : complexe sportif, station d'épuration, travaux de sécurité, mise en place de la police municipale et bien d'autres réalisations. Voici la préface
:
LES SILLONS DE LA MEMOIRE . LA COUTURE-BOUSSEY.
" A l'aube de l'an 2000 le Conseil Municipal et moi-même sommes heureux de vous offrir cet ouvrage sur l'histoire de notre commune.
Je tiens à remercier toutes les personnes qui se sont associées à sa préparation et notamment monsieur Pierre Molkhou qui, au travers des archives communales, paroissiales et départementales, a su être un détective du passé en reconstituant minutieusement l'histoire de La Couture-Boussey et de ses habitants.
Je laisserai simplement, pour souligner l'authenticité de notre mémoire retrouvée,
la parole aux Frères Goncourt pour qui " l'histoire est un roman qui a été, alors qu'un roman est de l'histoire qui aurait pu être ".
Je vous souhaite à tous une bonne lecture, en espérant que chacun d'entre vous retrouve au fil de ces pages et au hasard de quelques noms, un peu de ses racines personnelles.
Puisse l'histoire de notre village vous intéresser autant que nous avons eu de plaisir à vous la raconter ".
Bernard GROULIER Maire de la Couture-Boussey Décembre 1999
Je dois préciser que, 40 années après l'achat des Sapins, je suis heureuse de retrouver en 2014 notre Maire qui réside au " COTTAGE HOTTETERRE" Route de Nonancourt, et de découvrir la Couture Boussey grâce à cet ouvrage remarquable qui remonte les âges et les
siècles.
LES PAGES QUI SUIVENT SONT NOTRE HISTOIRE PERSONNELLE à LA COUTURE de 1973 à 1978.
SOIT CINQ ANNEES : UN "MILLIARDième" de seconde par rapport à l'Histoire de la Couture dont on retrouve la première mention en 1072 lorsque Roger d'Ivry
fonda l'Abbaye de Notre-Dame d''Ivry.
Photo Lionel Gripon. Merci infiniment
La Couture-Boussey, berceau multi-séculaire des instruments à vent, réputé dans le monde entier.
Des noms emblématiques, Hotteterre (qu'on a voulu transformer en bière), Noblet et Leblanc.
Famille Noblet. Tourneurs et Luthiers de 1728 à 1904
Monsieur et Madame Noblet en 1906
1906. Monsieur Georges Leblanc (1872-1956) et son épouse née Laure Clémence Jeuffroy (1875-1965)
Dans la généalogie des Leblanc, on trouve les Chenesseau (grâce auxquels nous devons les photos du siècle dernier), les Hotteterre, les
Deschamps.
Georges à l'orgue et Léon à la clarinette. Collection Christian et Nicole Chenesseau cousins de la famille Leblanc. J'ai bien connu Monsieur Léon (1900-2000) qui me choisissait lui-même les instruments lorsque je lui parlais du fameux "SI B CLAIR" si difficile à répondre, inventé par Monsieur Georges.
Nous avons signé l'achat chez Maitre Pessina en 2 étapes : le mardi 23 Octobre 1973, juste après le décès (le 18 Octobre) de ma grand-mère Eiling à New-York, pour le pavillon et ses annexes de 4ha 91a 59. Puis le Jeudi 11 Juillet 1974 pour la parcelle de bois de 14ha 62a 55ca de l'autre côté du chemin rural No15 dit du Fond de la Forêt plus les 5 ha côté Centre aéré Nanterre. Je m'étais mise au travail avec les entrepreneurs, les paysagistes, sans tarder.
Lorsque le Maire apprenait que j'envisageais de faire une piscine, il me le déconseillait vivement : " le climat ne s'y prête pas, la marquise de Boisgelin n'a pas tellement profité de la sienne etc.." Elle sera chauffée et couverte " lui ai-je répondu.
Il me semblait accablé, soucieux. Après le deuil le Maire me disait que la piscine portait malheur dans la région et que
les rares personnes qui ont creusé des piscines dans la région en sont mortes !! C'est bizarre : à 10.000kms de distance et 34 ans après un maire français tenait les mêmes propos que les devins
annamites dès ma naissance.
La piscine tant attendue par les enfants, prête à être inaugurée. Le paysagiste a fini ses
plantations.
Le maçon a terminé le portail et le ferronnier venait de sceller les grilles. Le chemin d'accès a été agrandi, empierré
et planté de 2 haies de charme.
31 AOÛT 1974. La fin du voyage pour mon compagnon. Le Ier Août nous avions inauguré la piscine en
famille avant d'inviter les amis. Pris d'un malaise dans le petit bain alors qu'il jouait avec les enfants il s'était noyé : les enfants croyaient que leur père faisait le sous-marin. Le
tapissier qui finissait de mettre les tentures du salon pour notre pendaison de crémaillère m'a aidée à le remonter. Evacué par hélico à Paris, il devait décéder un mois plus tard, à l'hôpital d'
Evreux.
Les 2 garçons avaient 7 et 6 ans, l'aînée, 8 ans. Nous étions allés les chercher chez leur nourrice respective au Kremlin Bicêtre et à Villejuif, 10 mois
auparavant.
En une semaine notre paysagiste Mr. Michel Douchez à Ivry la Bataille a rassemblé tous les corps de métier pour
bâtir au Cimetière de la Couture-Boussey le même portail qu'aux Sapins. Un de mes amis, Robert Hersant, a bien voulu stopper les travaux de sa propriété d'Ivry la Bataille pour nous "prêter"
quelques ouvriers que Monsieur Michel Douchez a affectés à la création de son golf.
Cimetière de la Couture Boussey. J'ai proposé au Maire Monsieur Robert Poilvert de créer un cimetière à
l'américaine dans la nouvelle parcelle, avec gazon, arbustes, massifs de fleurs annuelles. " OUI pour les plantes NON pour le gazon, mes administrés et les marbriers de la région me massacreront
" ! me disait-il. Plus tard j'ai compris que la Pierre tombale est le symbole de l'amour porté au disparu mais surtout du "standing" de la famille. Le célèbre marbrier Denis d' Evreux, à
qui j'ai donné carte blanche, en scellant la pierre de mon ami, a eu ce mot surprenant : c'est la plus belle et la plus ....chère de toute la région !
En attendant j'ai fait planter le long des murs de l'ancien cimetière 120 Thuyas L.Atrovirens de 1m50 choisis par mon pépiniériste Pierre Aubé, à
Villiers en Désoeuvre.
Les Thuyas ont bien poussé. En très peu d'années, le Cimetière a pris une autre allure.
C'était grâce au Prince Jean de Broglie, député et vice-président du Conseil Général de L'Eure régulièrement réélu de 1958 à 1976, que j'ai décidé de rester dans l'Eure et d'affronter le Destin. L'année 1974 a été tragique. Après le décès de mon compagnon, j'ai perdu à 10 jours d'intervalle mes 2 meilleurs soutiens et mentors : Omar Sakkaf, Ministre des Affaires étrangères du Roi Fayçal d'Arabie, décédé à 50 ans d'une embolie cérébrale au Waldorf Astoria le Jeudi 14 Novembre et Anwar Ali, Gouverneur pakistanais de la Saudi Arabian Monetary Agency, le 25 Novembre.
La maman du Prince de Broglie, la princesse Amédée née princesse Béatrix de Faucigny Lucinge, m'a alors recommandée à son fils né "le 21 Juin dans l'éclat des Feux de la Saint Jean".
La Princesse habitait 43 Avenue Foch à Paris, au coin de l'Avenue Raymond Poincaré, un rez-de-chaussée avec un petit jardin planté d'iris bleus qui m'ont
émerveillée dès le premier jour. Elle élevait des caniches à Lamorlaye. Un jour elle me disait: " regardez celui-ci, non seulement il vous fait la fête mais chaque fois que vous parlez il sourit
et souvent il rit aux éclats ! "
En fait je connaissais déjà le Prince Jean 14 ans auparavant, en 1960.
En sortant de l'appartement d'Aristote Onassis, 88 avenue Foch, je voyais le Prince descendre du 6è où habitait Monsieur Jacques Boullaire, peintre de la Marine et frère de Madame Louis Renault. Je l'avais pris pour un artiste ou un peintre avec son pantalon boudiné et son col de chemise fatigué. Dix minutes plus tard en tournant place Dauphine, peu habituée à mon nouveau cabriolet Mercedes j'ai accroché violemment une Dauphine, je crois, c'était mon "peintre", très pressé et fort contrarié. Moi aussi. Je lui avais mis d'office dans les mains une liasse de billets de 100F pour faire réparer sa voiture. Et je m'étais sauvée.....
Le soir, Artemis Garofolidis, la soeur préférée d'Aristote, m'appelait de Glyphada: "Ari rentre demain à Paris et veut te voir sans tarder, un motard est passé à l'appartement de Foch et a cuisiné le personnel à ton sujet. Harris Kapetanakis (c'était un responsable d'Olympic Airways) a parlé à quelqu'un de la Préfecture. Il parait que tu as soudoyé, en pleine rue, un Ministre de la République.....et pas n'importe lequel !"
Maître des Requêtes au Conseil d'Etat, plusieurs fois Ministre du Général de Gaulle, négociateur avec Louis Joxe et Robert Buron des Accords d'Evian entre la France et le FNL qui mirent fin à la guerre d'Algérie le 18 mars 1962, Président de la Commission des Affaires Etrangères jusqu'en 1973, le Prince fut un grand serviteur de l' Etat.
Homme de parole, de grande culture, d'une infinie générosité, le 17 janvier 1975, le Prince a voté la loi Veil, dépénalisant
l'avortement.
Sur le chemin Paris-Evreux ou Evreux-Paris, le Prince faisait toujours un détour par la Couture Boussey pour m'encourager à poursuivre mes travaux de
réfection du pavillon. Un jour sa secrétaire, Nicole Pantalacci me disait qu'il détestait l'autoroute et préférait passer par Mantes. Li-Anne Benoist d'Azy, une de ses chères amies, répliquait, "
mais non, il ne veut pas payer le péage ".
Jusqu'à ce terrible Vendredi 24 Décembre 1976 où il fut assassiné à Paris. Il n'avait que 55 ans. Ses 2 plus jeunes fils, Philippe-Maurice et
Louis-Albert avaient juste 15 ans et 12 ans. La lâcheté de certains hommes politiques me soulevait le coeur. A ses obsèques, il n'y avait aucun membre du gouvernement de Valéry Giscard d'
Estaing, qui lui donnait pourtant du "mon cousin" à n'en plus finir, même pas son "ami" Michel Poniatowski. Après le show télévisé dans les locaux du 35 Quai des Orfèvres (une première !) en sa
qualité de Ministre de l'Intérieur, flanqué de Jean Ducret D.G.de la P.J.et de Pierre Ottavioli patron de la Criminelle, Ponia a bien fait de se planquer. Mais le souvenir de Jean reste à
jamais gravé dans mon coeur tout comme l' Eloge funèbre prononcé à l'Assemblée Nationale par le Président Edgar Faure à sa mémoire, le 12 Avril 1997. Voici la conclusion
:
" Une pensée qui maîtrisait tant de problèmes et qui s'efface sans avoir pu saisir le sien. Un rêve que l'inspiration soulevait si haut, et qui sombre dans l'instant du plus affreux désastre. Après quelques jours de stupeur, nous apprendrons officiellement qu'un tueur à gages a passé de sinistres aveux. De ce crime placé aujourd'hui sous main de justice nous ne pouvons rien dire ni même rien penser si ce n'est la certitude, hélas ! qu'il ne fût tissé que d' infamie.
Un grand malaise nous étreint que nous ressentons un peu comme une ordalie collective, mais il serait téméraire, et pour
autant que nous sachions injuste, de porter l'opprobre sur celui qui était des nôtres et dont rien ne démontre qu'il y perdît davantage que la vie. Dans une civilisation qui s'attache à assurer
aux pires malfaiteurs toutes les garanties du droit, il serait paradoxal que de ces garanties les victimes soient frustrées et exposées, sans forme de procès, à la damnation de la
mémoire.
Nous n'avons point ici de sentence à prononcer, et chacun trouvera dans son for intérieur les chemins de sa propre
méditation. "
Fin Septembre 1943. A un moment tragique de l'Histoire de
la France.
Parc du Château de Brissac. De gauche à droite :
Jean de Broglie, 22 ans. Assassiné le
vendredi 24 Décembre 1976 à 55 ans. (21/6/1921-24/12/1976)
Marie-Pierre de Cossé Brissac, 18 ans. Mariée à Simon Nora puis à Maurice Herzog. Agrégée d'histoire et de philosophie, auteur des " Mémoires d'Automne " (Fayard).
Victor de Pange, 21 ans. Décédé en 1984 à 62
ans. (12/07/1923-31/01/1984). Fils du Comte Jean de Pange, un des précurseurs des Etats-Unis d'Europe, et de la Princesse Pauline de Broglie, arrière petite-fille de Madame de Staël, le Comte
Victor de Pange a laissé des ouvrages remarquables sur son aïeule. Prix 1981 de l'Académie Française pour " Le plus beau de toutes les fêtes ".
Notre photographe : Robert de Luppé, 20 ans.
Décédé le jeudi 21 Février 2008 à 85 ans.
Editeur, auteur de nombreuses études notamment sur Camus, Anouilh et Madame de Staël. Prix de l'Académie Française 1970
pour "Les idées littéraires de Madame de Staël", le Comte Robert de Luppé a enregistré entre 2005 et 2007, trois cassettes dans le studio Airport de Thierry Ousty : Conte de la haute
mémoire, Lecture pour la fin du temps, Le retour.
Douze ans après cette poignée de mains avec le Prince Jean, le vendredi 15 Novembre 1974, Monsieur Abdelaziz Bouteflika, devenu Président de la République d'Algérie, à la tribune de l'Assemblée des Nations Unies à New-York, faisait l' Eloge funèbre de notre ami Omar Sakkaf foudroyé la veille par une thrombose cérébrale à son hôtel. Il n'avait que 50 ans, il devait participer au débat sur la Palestine et la veille, nous avions rencontré Henry Kissinger et David Rockefeller.
Jean de Broglie avait une passion pour les spectacles "Son et Lumière" dont il écrivait la trame avec des phrasés si poétiques, parfois prophétiques.
" Je vois une grande civière recouverte d'un drap vert....Quel est ce bruit : c'est un cortège qui mène un mort à sa dernière demeure ".
" La foule le voit, il titube, crie le silence de la mort ".
" Nul arbre ne meurt tout à fait comme un arbre ne meurt ".
Ce sont nos amis Lenfant qui m'ont fait connaître Nicole Pantalacci, la dévouée et compétente "chef de cabinet" de Jean de Broglie à sa permanence d' Evreux (à gauche avec l'épouse de Claude Linget du fameux "Moulin d'Ivry", rendez-vous de tous les gastronomes de la région).
J'ai connu les amis d'Evreux non par le Prince Jean mais par Nicole qui ne se doutait pas que je voyais son "boss"
presque chaque semaine. Un jour, à un vernissage à Ezy sur Eure, accompagnée de Nicole, je tombais sur le Prince complètement ébahi. " Vous avez vu comment le Prince n'arrêtait pas de vous
regarder ? Il n'a jamais regardé quelqu'un comme cela ! " me disait Nicole. Je n'ai pas répondu mais je pensais qu'il nous surveillait du coin de l'oeil, inquiet de nos confidences respectives !
Surtout que Li-Anne Benoist d'Azy a rejoint notre table pour le dîner bien arrosé, comme il se doit, dans cette généreuse "Auberge Maître Corbeau" tenu par Monsieur Giral et Monsieur Guillet,
mécènes, amis des artistes et des poètes.
Elizabeth-Anne Benoist d'Azy est morte le 27 Juillet 2009 dans son Château du Vieil Azy, à Saint Benin d'Azy. Elle avait
83 ans. Il y a 40 ans elle habitait à la Villeneuve-Haut Bois dans l'Eure et nous avions davantage l'occasion de nous voir.
A la Couture, j'aimais improviser des dîners sans protocole. A gauche avec mes Sultanes, à droite avec Jean-Claude Linget, le patron du célèbre "Moulin
d'Ivry", Nicole Pantalacci, Paul-Arnaud Hérissey, Michel Tomasi...Quand je téléphonais à 6 couples d'amis nous nous retrouvions toujours à 20 avec les veuves et "anciennes jeunes filles". Alors
nous nous mettions dans toutes les pièces et j'appelais à la rescousse le maître d'hôtel de la Préfecture, au grand dam de la sous-préfète.
J'ai beaucoup d'estime et d'affection pour Paul-Arnaud Hérissey. Certains soirs il était tellement sollicité par les maîtresses de maison qu'il commençait par l'apéritif chez l'une avant de dîner chez une deuxième puis courait prendre le dessert et café chez une autre. Pour faire plaisir à tous ses amis il grillait des kilomètres et des kilomètres car à la campagne chaque village est séparé par des centaines d'hectares de bois et de champs. Sans oublier ses déjeuners d'affaires à midi.
Face à un tel régime son épouse Chantal Baguenault de Viéville avait déclaré "forfait".
Imprimeur avec son jeune frère Charles (ils représentaient tous deux la 6ème génération d'une maison fondée en 1842), dirigeant du CNPF de l'Eure,
Paul-Arnaud était catholique pratiquant mais après la nomination de l'évêque Jacques Gaillot à Evreux, en 1982, il s'était mis à "bouffer du Thon Rouge",
labellisé "Mohamed Gaillot-Mosquée d' Evreux". Il se plaignait officiellement de ce singulier prélat auprès du nonce apostolique et du patron de la congrégation des évêques, puis auprès de
Charles Pasqua, ministre des Cultes. " Chaque fois qu'il disait une homélie ça va. Et Paf ! sans prévenir il nous faisait chier avec j'ai bouffé chez un exclu ou il refaisait le coup de nous lire
la lettre d'un taulard !! " racontait Paul-Arnaud à qui voulait l'entendre. Non seulement l'aristocratie et la bourgeoisie bien pensante étaient derrière Paul-Arnaud mais aussi la Grande Muette
et la maréchaussée ébroïcienne. Finalement le 13 Janvier 1995 mon Sieur Hérissey a eu la peau de mon Seigneur Gaillot destitué de l'évêché d' Evreux par le pape Jean Paul II puis, dans la
foulée, nommé évêque "in partibus" de Parténia. Parténia est un siège épiscopal situé en Algérie dans la région de Sétif et
disparu sous les sables à la fin du Vème siècle.... " Oh ! Merde ! je ne savais pas que Rome était si raide ", regrettait Paul-Arnaud par la suite. " Il faut que j'aille à confesse
".
A Pinterville Monseigneur Gaillot avait toujours répondu courtoisement mais négativement à mes invitations Jusqu'au jour où il apprit mes aventures à la
prison de Bonne-Nouvelle de Rouen. Il était aussi épaté par les articles favorables à la "châtelaine capitaliste", dans la Dépêche, censée être un canard de gauche. Mais la mécréante que
j'étais n'avait plus le temps de le recevoir.
Il ne me venait pas à l'esprit d'inviter Jean de Broglie à nos joyeux dîners. Il vivait dans son monde intérieur. Il compartimentait sa vie. Il ne me parlait que de sa maman et de ses fils. Et aux Sapins, il appréciait "son" heure de paix avant de rejoindre "les rumeurs et les fureurs de la ville". " Et maintenant ma soeur bien-aimée il nous faut nous quitter......" paraphrasait-il la "Princesse de Clèves".
Le Prince avait 2 frères cadets -- les Princes Guy et Aymon-Gérard -- et 3 fils -- les Princes Victor-François, Philippe-Maurice et Louis-Albert, nés
respectivement en 1949, 1960, 1963. Il aurait aimé, disait-il, avoir une grande soeur à qui se confier et une petite fille à chérir.
En revanche, avec Pierre Monfrais (1917-1996) qui lui a succédé dès le 24 Décembre 1976, nous nous voyions régulièrement avec sa charmante épouse.
Industriel, Pierre Monfrais a été réélu en 1978 avec 55% des suffrages.
Avec la chute de Saigon, ma famille adoptive du Sud arrivait en France, trimbalant dans ses bagages les devins annamites comme jadis. Ils ont entonné les incantations qu'il fallait pour la piscine, et m'ont affirmé que je devais m'accrocher à cette maison qui "dégageait des ondes bénéfiques". En somme, aucune différence avec les curés normands et leurs exorcismes. J'ai accepté les prières des uns comme des autres. C'était le pari de Pascal.. .C'était de nouveau l'ambiance de convivialité asiatique.
En mission au Vatican, début avril 1975, mon ami Henri Cabot Lodge junior qui fut ambassadeur des Etats-Unis au Vietnam de
1963 à 1967, m'appela de Rome et me confia : " quand les vôtres entendront en continu sur notre antenne le Noël Blanc ce sera le signal de l'évacuation. N'écoutez pas Graham Martin (l'ambassadeur
U.S à Saigon). " Vous êtes trop pessimiste me répondit ma famille au téléphone,"Mémé" (l'Ambassadeur de France Jean-Marie Mérillon ) était venu dîner hier et nous a rassurés, nous sommes
sûrs que la France ne permettra jamais cela ! Et l'épouse de Graham Martin nous disait la même chose de son gouvernement ".
Mais je rêve ! Vingt longues années après Diên Biên Phu ils croyaient encore aux politiciens Français !
Le 30 Avril 1975, ce sera la débâcle.... la Chute de Saigon dont on voyait les scènes de désespoir tourner en boucle sur toutes les télévisions du
monde.
La plupart avait tout perdu. Malgré mes avertissements, personne n'arrivait à se détacher de sa terre, de ses biens et ne croyait qu'en ceux qui
pouvaient les rassurer.
Pour ne pas avoir respecté à temps les consignes d'évacuation de son gouvernement, alors que les porte-avions et
autres navires américains croisaient depuis des jours en Mer de Chine, Graham Martin a livré aux Viêt-Côngs, mains et poings liés, des centaines de Vietnamiens du sud, travaillant au service de
liaison.
Malgré ce drame je n'ai jamais vu de "dépression nerveuse" dans mon entourage. Après avoir vécu l'enfer des camps de réfugiés de Guam ou autres,
une fois parvenus en France ou ailleurs TOUS, hommes et femmes se mettaient à la recherche d'un travail, ne pleuraient jamais sur leur sort. Et surtout essayaient d'envoyer leurs enfants dans les
meilleures écoles. Tous sentaient que c'est par l'esprit et l'argent et non par les armes qu'ils devront un jour reconquérir pacifiquement leur pays. Par la suite, tous cotisaient pour les frais
universitaires de Harvard, Yale, Princeton, Oxford, Cambridge, à charge pour les futurs diplômés de refaire la même chaine de solidarité pour la génération suivante. Le MBA était très
prisé. La France n'avait plus la cote.
Les psy étaient bannis de notre culture. Ils le sont toujours. En revanche, catholiques, bouddhistes, tous étaient à la recherche du fameux "TAM TÔNG
MIÊU" une sorte de bible ou almanach qui définit, régit leur conduite journalière en fonction de leur signe astral !
Le TAM TÔNG MIÊU. Un fabuleux Sésame prédit sur toute une année. Je dois avouer que la "mécréante" que j'étais en restait
souvent pantois. Un exemple. La dernière épouse de mon père adoptif me disait un jour : nous devons partir tout de suite pour Paris, l'horoscope me dit que ce jour faste me permettra de
rencontrer l'homme qui changera ma vie.....A Paris, après avoir arpenté tous les trottoirs du 13ème, de l'Avenue d'Ivry à l'Avenue de Choisy, épuisées et découragées nous nous installions dans la
première gargote venue. Tout d'un coup, pleurs et cris de joie. Le Professeur Trân Dinh Quê, ancien Doyen de la Faculté de Médecine de Saigon était là, avec son épouse à déguster son "pho". " Ma
tante, Mon oncle, mon oncle, on vous croyait mort " (il était presque centenaire) - " Mort, moi et pourquoi ? et vous pourquoi vous n'êtes pas au boulot à cette heure ? "- " Mon oncle
j'ai cherché du travail depuis des mois mais mon diplôme de sage femme n'est pas valable en France et pourtant je l'avais passé du temps de l'administration coloniale ." -" Montre moi çà
"- " Le voici " -" Mais, monsieur mon époux, c'est votre signature sur le diplôme lui disait sa femme..."- " Bon on va arranger çà, j'appelle des "copéng" à la Fac et à
l'Académie de Médecine ". Le problème était que la plupart de ses potes étaient morts ou gâteux. De fil en aiguille le diplôme a pu être quand même validé et la belle-mère a été embauchée dans la
semaine qui suivait dans une clinique chic de Suresnes. J'apprenais par la suite que tous les réfugiés en toutes circonstances, se baladaient avec une"banane"
autour de la ceinture, contenant tous leurs papiers et diplômes plastifiés, leur seule fortune.
Beaucoup de femmes de la grande bourgeoisie indochinoise, pourvue d'une domesticité nombreuse poursuivaient des études
universitaires par snobisme, pour leur "standing" et se rendaient enfin compte combien ces études leur étaient précieuses dans le malheur. Du temps de mes grand-tantes, on appelait les
bachelières " Cô Tu "-- Mademoiselle Bachelière -- ce qui était une "dignité" pour une lettrée. Mais elles restaient demoiselles car aucun homme n'osait demander leur main. La génération de
mes tantes était, elles, presque toutes, soit avocate, dentiste, pharmacienne, médecin soit docteur ès quelque chose, mais leur richissime époux leur interdisait d'exercer. Toujours à cause du
même foutu "standing". En général ces riches époux étaient des industriels ou commerçants ayant juste leur bac et eux n'avaient plus rien comme bagages en
France.
Le Manoir appartenait à la veuve du "Professeur" Pinel qui en était plus que fière. La moindre maison dans notre voisinage immédiat, à l'époque, était située sur des parcelles de 3 ha au minimum (30.000 m2). Je venais d'obtenir les permis de construire sur deux de mes parcelles, l'une de 8 ha côté Me Petitpas et l'autre de 5 ha, jouxtant le bois de notre Commune, côté Nanterre, face au Manoir. Les camions et les terrassiers avaient à peine débarqué dans la rue pour les travaux de viabilité (je tenais à faire enterrer les câbles électriques) lorsque Madame Pinel, se prenant pour la châtelaine du pays, commençait à harceler le Maire de pétitions. Par la suite cette dame a sombré dans la folie. Un jour un jardinier un peu plus curieux que d'autres, a regardé par une fenêtre et s'est enfui à toutes jambes, épouvanté.
Prétextant une alerte incendie, le Maire et les pompiers ont débarqué dès l'aube au Manoir, ont forcé les portes et ont
trouvé dans une chambre un cadavre desséché, vêtu somptueusement, étendu sur le lit. C'était la maman de Madame, décédée de mort naturelle depuis un certain temps et "embaumée" ou plutôt "fumée"
façon Professeur Pinel.
La pauvre Madame Pinel que Jean-Jacques Debout, le mari de Chantal Goya pastichait si bien du temps de
sa splendeur, a fini sa vie dans une maison de santé à Evreux.
La route qui longe la maison de nos amis Hanifi et mène chez nos autres amis, les Lenfant.
Route lumineuse depuis 2005 grâce au colza de leur aîné Jean-Marie et menant au ravissant village de Boussey, le château familial et la ferme du Clos de la Mare
Lire page Les Amis
agriculteurs, chapitre UN CHATEAU POUR TOUS
Cinq années durant, jour après jour, j'ai vu cette merveille prendre forme sous mes yeux. C'était le rêve de Robert
Hersant il y a plus de 40 ans. Il m'emmenait volontiers sur les chantiers et m'avait recommandé l'entreprise Douchez pour Les
Sapins. Et aussi Monsieur Robert Veillet, l'entrepreneur de
maçonnerie. Perfectionniste, notre Robert est capable de tout faire casser et obliger l'autre Robert à tout reconstruire. Plus d'une fois ce dernier venait se consoler chez moi car il "en
avait gros sur la patate".
Comme s'il pressentait qu'il ne vivrait pas tellement longtemps, Robert exigeait de l'équipe Douchez des arbres énormes et était pris de fou rire quand je lui disais que les lapins de garenne ont sectionné mes pins Douglas avec leurs incisives !
Moi, je ne suis pas une "papivoresse" milliardaire lui
ai-je répondu, très vexée. Pour se faire pardonner il m'avait envoyé 101 roses par la fleuriste d'Ivry la Bataille ce qui faisait jaser dans le patelin. Il parait que "Rolande" a rouspété.
L'originalité avec Robert, c'était qu'il faisait construire de superbes demeures pour chacune de ses épouses passée, présente ou future. Demeures situées impérativement dans la même enceinte
enchantée d'Ivry la Bataille. Et chacune devait y faire avec dans cette " Cité Interdite ".
De là haut Robert doit voir son Golf ainsi, de l'automne à la fin de l'hiver.
Après avoir tout restauré de fond en comble pour pouvoir m'y installer à plein temps, je réalisais que le chemin qui longeait notre pavillon était une lourde servitude....
On ne peut s'imaginer la curiosité des gens. Notre pavillon était longé par un sentier communal à 2 m des baies vitrées du séjour, séparant notre propriété en deux. Bien que nous soyons protégés par une grille scellée sur un petit muret, le week-end, les promeneurs, de plus en plus nombreux, venaient nous regarder déjeuner l'hiver et l'été ils s'attroupaient sur le talus, du côté de la piscine, avec des lorgnettes. Moi qui pensais que c'était juste un sentier traversant nos bois, destiné seulement aux bûcherons !!
J'ai décidé de demander le déplacement du chemin communal. Philippe de Rothschild me le déconseillait vivement, il n'avait jamais pu ni voulu le faire à Mouton.
Mais, je ne suis pas Rothschild, moi.
Michel Tomasi, Secrétaire Général de la Préfecture de l'Eure, me disait que c'était une folie. Le Ministre Albin Chalandon, aux Gâtines Rouges, à 15 km de la Couture, avait voulu aussi déplacer un chemin qui gênait sa maison. Il avait vu débarquer des engins énormes, bulldozers, camions etc....
Non seulement les maires communiste et socialiste des communes voisines avaient rejeté la demande mais ils avaient décidé d'agrandir le chemin !
Mais, moi, je ne suis pas Ministre et je ne m'appelle pas Albin Chalandon.
Voici, me montrait Philippe de Rothschild, la petite route au pied de Grand Mouton, séparant la maison des vignes. " Si j'avais tenté quoi que ce soit, j'aurais risqué l'ouverture d'une voie plus grande sans parler du grabuge dans le pays. Alors, je me contente de mettre un mur et de renforcer la grille ".
Le mur de Grand Mouton vu de l'extérieur avec les 2 "lucarnes" et de l'intérieur. Je ne me vois pas dresser un mur à la
place de mes baies vitrées aux Sapins. D'autant plus que notre living-room est au rez de chaussée alors que celui de Grand Mouton est au premier étage.
On a raconté les pires âneries à propos du déplacement de ce chemin rural No15 dit du Fond de la Forêt. A Pinterville, à la Couture Boussey et dans bien d'autres communes où j'étais amenée à intervenir, j'ai toujours rencontré des élus intègres. A la Couture Boussey, la plupart des élus sont des enfants du pays, comme Claude Lenfant qui représente la 6ème génération à cultiver la terre de ses ancêtres. De plus les parents de son épouse occupent un château dont les origines remontent au 11è s. Tous ne souhaitent que le meilleur pour leur Commune où ils sont viscéralement ancrés.
D'ailleurs, les démarches administratives étaient
toujours faites par les juristes de la FIDAL. Avec autorisation préalable du Juge des Tutelles, puis confirmation par Ordonnance. Il ne me viendrait jamais à l'idée de profiter d'une amitié pour
quémander une faveur. Je méprise ce genre de comportement pour avoir, dès mon plus jeune âge, vu tous ces courtisans annamites et indochinois à l'oeuvre.
J'étais venue à la Commune avec un plan mûri par des
experts assermentés de la Direction Nationale Evaluations de la FIDAL. D'accord, le déplacement de ce chemin donne une plus-value à ma propriété, reconnue dans l'Ordonnance du 7 Mai 1976 du Juge
des Tutelles. Mais cette plus-value, j'étais prête à la donner à la Commune dès à présent, soit une soulte de 70.000F (valeur 1976), plus les frais de construction d'une voie de 500m
sur 7m, avec encaissement central de 5m. Cette nouvelle voie empierrée, compactée, nivelée sous la direction de l'Ingénieur de l'Equipement permet aux camions des pompiers de rentrer dans
le bois en cas d'incendie car il faut bien se représenter que nous sommes isolés au milieu d'un ensemble de 100 ha de bois, une des richesses vertes de la Commune. L'ancien chemin boueux de 2m50,
non accessible aux voitures donnait directement sur la Route nationale 833 classée dangereuse surtout pour les jeunes qui arrivaient à bicyclette du bois. Le seul problème c'était l'autorité de
Tutelle, à savoir la Préfecture de l'Eure.Très politisée, forte de son pouvoir sur les communes, elle prenait systématiquement le contrepied des décisions de la Commune si par malheur cette
dernière était d'un autre bord. A Pinterville, j'aurais dû me souvenir des confidences des Tomasi.....
Ces documents ne sont qu'une infime partie de la paperasserie. En réalité entre les Ponts et Chaussées, l'Agriculture,
l'Equipement, l'EDF, j'avais des centaines de pages à classer.
Je suis éternellement reconnaissante au Président Jean-Pierre Aron, Juge des Tutelles au Tribunal d'Instance d'Evreux
d'avoir signé ces Ordonnances qui nous ont permis de valoriser les Sapins et de racheter ensuite le domaine de Pinterville. Je serai tombée sur Monsieur François Ballouhey, du Syndicat de la
Magistrature, avec ses préjugés, je n'aurai jamais réalisé ce projet. Je me retrouve avec une propriété de 16 ha d'un seul tenant avec un parc entouré de bois mais la Commune y a trouvé aussi son
compte. Les 2 parcelles de 8 ha et de 5 ha restant seront dotés chacune d'une maison.
Comme Chantilly, la Couture Boussey avait géré cette richesse verte avec beaucoup de sagesse. Elle autorisait les
constructions de maisons individuelles sur des parcelles de 20.000 à 50.000m2 minimum.
Ce qui permettait aux heureux propriétaires de mieux soigner leur espace vert.
Après presque 2 années de démarches et de négociations, dès la confirmation du décret de l'autorité de Tutelle, à savoir la Préfecture, j'ai immédiatement appelé l'entreprise Michel Douchez à Ivry la Bataille. Robert Hersant a accepté de stopper, encore une fois, les travaux chez lui pour permettre aux engins de venir dans l'après-midi même, et commencer à percer le nouveau chemin dans notre Chênaie.
" Je ne sais comment tu as fait pour mettre d'accord tout ce monde, mais fais vite, ma puce ! Il y aura toujours un c...de policard pour mettre son grain de sel. " disait Robert.
Le soir un de nos amis, Michel d'Ornano m'appelait de Deauville et me disait la même chose ...Puis à minuit, de Londres, Philippe de Rothschild : " Mais comment as-tu fait ? Fais quand même de gaffe à toi ma Cri-Cri....".
Dans la nuit, d'autres engins arrivaient de la banlieue sud de Paris et se mettaient en place sans encombre. L'équipe de bûcherons aussi. OUF
!!
Le lendemain matin, douloureuse surprise ! A 8h un ouvrier essoufflé, à la porte. " Patronne, patronne, le Docteur Henri, il est là dans le bois, interdit détruire écologie ! Et puis femme sur arbre, femme attacher arbre ! ". C'était bien ce que je craignais, des oppositions irréductibles.
Sur place je ne pouvais que constater le gâchis : le Maire de Saint André de l'Eure, le Docteur Henri qui n'avait rien à
voir avec la Couture Boussey était là ceint de son écharpe tricolore, plus loin une hystérique perchée sur le chêne de "son enfance". Et les ouvriers apeurés, se tenant prudemment dans leur
engin, moteur arrêté. Et quelques braillards en face. Pour eux, j'étais le péril jaune.
-- " Très bien, il est 8h20 du matin, je n'ai pas
l'habitude de traiter les affaires sans être coiffée et maquillée, je m'en vais, je reviendrai à 9h précises, si vous êtes encore là, j'agirai en conséquence ".
-- " C'est çà tire toi, connasse de Chintok, Hou Hou
...C'est pas toi qui fait la loi chez nous ".
En rentrant, j'ai appelé Robert Poilvert le Maire de la Commune, son fils "l' Petit Pois Vert qu' habit' l' Bois Rouge",
les autres maires, Michel Tomasi le Secrétaire Général de la Préfecture de l'Eure, le Chef de cabinet du Préfet... EN VAIN....PERSONNE .... pourtant TOUS étaient déjà au courant de la situation.
Mais le Docteur Henri était un héros de la Résistance, adoré de ses sujets, réélu depuis des décennies. Ce premier magistrat du Canton de Saint André faisait peur. Son langage vert pour ne
pas dire ordurier intimidait le colonel de gendarmerie, le gouverneur militaire, le préfet....bref tous les officiels et autres élus adverses qu'il narguait dans les réunions, pour le plus grand
plaisir de certains politichiens voyous. Eh ! bien à voyou, voyou et demi me disais-je.
Alors, j'ai mis mon rouge à lèvres le plus flamboyant,
mon "gilet pare-balles", mes bottes et casque de motard et j'ai pris mon fusil de battue pour sangliers, avec lunette de visée Zeiss -- l'ancêtre de la double express ccs 25 Browning à
canons juxtaposés, qui a l'avantage de se charger très rapidement.-- Et je me mettais à l'affût avec mon mégaphone.
-- " Tiens, elle revient la Chintok, elle a la trouille, elle n'ose pas s'approcher, elle gueule dans le haut parleur,
qu'est-ce qu'elle fout encore là ? ".
-- " Vous verrez bien tas de CONS. Je vous vois tous dans mon viseur mais vous me voyez pas hein ? Vous êtes sur mes
terres, vous violez la loi et le permis du Préfet ". Et j'ai commencé à tirer.
" Vous harcelez une femme seule avec trois jeunes orphelins chez elle. Vous êtes racistes
".
-- " Vous, Docteur HENRI, je commence par vous. Ne craignez rien, je ne vous tue pas, je tire simplement dans votre
robinetterie en or, vous le bonheur de ces dames, vous verrez ". Grand éclat de rire des ouvriers et le coup est parti, juste à ses pieds.
Le temps que je recharge et un autre coup atterrit au pied du chêne. Perchée sur son arbre la bonne femme hurlait -- " Appelez les gendarmes. Me laisse point seule Henriiii....Au secooours.
C'est du pétard pour sanglier, j'y "côné"......."
-- " Les gendarmes, je les emmerde, toi la grosse pétasse tu couches avec ton beau-père et le Docteur, moi je
couche avec leur colonel, je te donne 1 mn pour te barrer. Sinon mes hommes vont bien s'amuser avec toi. ". Un autre coup. Débandade
générale....
Bien sûr, je ne connaissais ni d'Eve ni d'Adam le colonel de gendarmerie mais j'ai visé juste pour la bonne femme....
.
Alors, à mon soulagement, j'entendais la voix du chef de chantier :
" Allez les gars, on a assez perdu de temps, au boulot, la comtesse chinoise sait bien récompenser les braves. RIEN VU. RIEN ENTENDU. Compris les gars ? ".
Puis le vrombissement des Mc Culloch des bûcherons. Puis le rugissement des gros engins.
D'après Monsieur Michel Douchez, ses gars n'ont jamais aussi bien travaillé. Ils ont fait les "3/8" comme en Arabie Saoudite et le nouveau chemin était terminé en un temps record.
Dès l'ouverture du nouveau chemin, nous avons immédiatement fermé l'ancien, fait enlever les poteaux électriques pour
enterrer tous les fils.
Le chemin communal enfin déplacé, remodelage du parc par l'admirable équipe de Michel Douchez.
Et nous pûmes enfin déjeuner tranquillement le week-end et nous ébattre avec nos amis dans la
piscine.
40 ans après l'entreprise Michel Douchez est toujours là. Après le décès de Monsieur Michel, sa fille Brigitte, son épouse Colette, son frère ont perpétué son oeuvre. A l'époque, Michel Douchez assurait entre autres, les travaux titanesques entrepris par Robert Hersant dans sa magnifique propriété d' Ivry la Bataille.
Pour en revenir au Docteur Henri. L'OMERTA EN NORMANDIE.
Ce Docteur Henri s'était déjà distingué deux ans auparavant, en 1974, au décès du Président Georges Pompidou. Il avait invité tous les officiels d' Evreux ( Préfet, sous-préfet,
maires des communes voisines, militaires gradés etc...) pour une messe "comme à Paris". Devant cette assemblée triée sur le volet, endimanchée et enrubannée, le curé de gauche attendait la
dernière minute pour déclarer qu'il ne pouvait dire la messe "selon sa conscience" (on croit rêver).
" Viens avec moi dans la sacristie " lui disait
Henri....Et là on entendait : " Nom de Dieu ! Curé de mes deux, tu vas me la dire cette messe oui ? ". Puis l'écho de plusieurs baffes..." Connard je vais te massacrer et ta mère et ton père....(
chuchotements )....". Et l'on voyait ressortir le petit curé, la tête toute rouge, larmoyant, bénissant la nef, commençant la messe et donnant la communion à ces dames béates d'admiration devant
le Bon Docteur.
Tous les journalistes de l'Eure étaient là, ils en rigolaient encore entre eux des années après, mais le lendemain, dans leur canard, il y avait
juste le résumé de la messe et rien d'autre !
J'avais exprimé mon étonnement à plusieurs directeurs de journaux de Normandie, Roger Parment de Liberté Dimanche
à Rouen, Bernard Bonnissent de L'Impartial aux Andelys, Eric Noblet du Courrier de l'Eure, Pierre Frey de Paris Normandie....Tous me disaient que ce cinglé de docteur a été un "saint" pendant la
guerre. Bravant la neige, le verglas, en pleine nuit il allait accoucher les femmes en rase campagne, sauver des enfants....and so on......Et puis la Préfecture est trop contente de
trouver un brave qui ose secouer les cocos, les cocotiers et autres rouges gorges.
Michel Tomasi, Secrétaire Général de la Préfecture de l'Eure, Jean Schneider, Vice-Président du Conseil général de l'Eure (debout à gauche) et quelques maires des communes voisines -- Jérôme Bossuyt, Philippe Courtois, Robert Poilvert entre autres..., -- réunis aux Sapins avec leurs épouses pour arroser le nouveau Parc et l'ouverture du nouveau chemin communal. Michel avouait avoir donné l'ordre aux gendarmes de ne pas paraître et d'étouffer l'affaire.
" On savait que vous allez vous en sortir toute seule, on voulait pas envenimer la situation...enfin vous comprenez...et puis vous avez tiré sur le premier magistrat du Canton....Le Procureur aurait pu s'en saisir..! "
-- " Quoi ? le Docteur Henri a commis une violation de domicile en pénétrant sur mes terres, j'ai un décret signé de la main du Préfet...D'ailleurs, je
raconterai à toute la Cour comment, l'an passé, pour un examen gynécologique, je m'étais levée d'un bond en lui criant : " mais, Docteur, ce n'est pas le spéculum que vous allez me mettre " en
lui flanquant un coup de pied où vous pensez " -- Grande rigolade des amis.
" Chut ! n'en parlons plus ! champagne, champagne et bravo pour le nouveau Parc des Sapins ! "
Dans cette affaire je risquais de tout perdre : les 70.000F déjà versés à la Commune, les factures de géomètre, les
acomptes pour les engins et les travaux de l'entreprise Douchez. Bref 120.000F...il y a 40 ans c'était assez conséquent. Et personne n'avait rien vu et le Docteur Henri continuait ses
méfaits rapportés par ses sujets comme des exploits et personne n'osait le dénoncer.
Aux Etats-Unis, pour ce qu'il avait fait dans son cabinet médical, il aurait été déjà condamné et rayé de l'Ordre des
Médecins. Mais en Gaule, on en rigolait. Il y a 40 ans les femmes avaient honte d'en parler et se taisaient, surtout en province et à la campagne.
Je concluais qu'il fallait être "voyou" pour s'en sortir.
Tout le monde était là. Mais lorsque Michel en disgrâce, fut déplacé à Saumur, au pot d'adieu que Jean Schneider et moi avions organisé aux Sapins,les 3/4 des maires s'étaient esquivés et m'ont envoyé leurs épouses.
En donnant la photo d'un dîner à Marie-Hélène Giscard d'Estaing et Kuniko Tsutsumi, j'ai demandé pourquoi elles avaient cet air là : " Michel a dit que tu as coupé les couilles du premier magistrat du Canton ! "
Jacqueline Auclaire assise entre le chef de cabinet du Préfet et sa jeune épouse en vert. Debout à droite Jérôme Bossuyt qui mourait peu de temps après, percuté par un camion devant sa maison alors qu'il rentrait chez lui. Un lycée porte son nom à Bueil.
Après la mort de Jean de Broglie, un terrible hiver sans électricité ni chauffage. Dans les bois les branches craquaient
comme des mitraillettes sous la neige et le gel puis s'effondraient en faisant trembler le sol.
On entendait toute la nuit les chiens du voisinage hurler à la mort.
Ayant fini mon oeuvre de restauration, je n'avais plus rien à faire aux Sapins et je me mettais en quête d'un autre
domaine à restaurer.
En réalité, j'ai surmonté le deuil et le chagrin mais je ne n'arrivais pas à oublier la scène tragique de la
Piscine.
L'évolution du perron au bout de 5 ans
PRINTEMPS 1978. Nous quittions définitivement Les Sapins pour Pinterville.
1994 20 ans après. Les arbres et arbustes du Cimetière continuent de bien pousser. Les enfants aussi.
Le regretté Monsieur Larhantec,"garde champêtre" compétent et dévoué. En fait le dernier poste a été supprimé en 1961.
Chaque année à l'Assomption, comme pour les fermages il faut tailler et "éduquer" nos plantes